Les réseaux sociaux – misogynie 2.0 ?
Retour d’expérience d’une petite main militante
La candidature d’Anne Hidalgo aux élections présidentielles 2022, dans un contexte de rebattement des cartes politiques, d’ascension du populisme, et de droitisation du discours médiatique, doit faire face à plusieurs obstacles vieux comme le monde mais auxquels, nous, petites mains militantes sur les réseaux sociaux, avons de plus en plus de mal à faire face.
En ligne, le harcèlement, les attaques coordonnées en « meute », les insultes et commentaires acerbes, les comptes dont l’activité exclusive est la réaction négative aux posts de/sur Anne Hidalgo, les mots-dièses partagés ad nauseam, tout celapourrait paraître comme un épiphénomène d’une campagne qui maîtriserait mal les nouveaux outils de communications citoyens que seraient les réseaux sociaux. Or, nous devons nous rendre compte que nous jouons ici un jeu dont les dés sont pipés.
Faites-la taire !
En effet, les réseaux sociaux ne sont pas un moyen d’expression démocratique, et encore moins un baromètre d’opinion publique, mais bien un outil de conservatisme. Depuis l’élection de Donald J. Trump aux États-Unis, il a ainsi été démontré que les réseaux sociaux déplaçaient le curseur politique très clairement vers la droite populiste. Un constat partagé en France et qui a fait l’objet d’un très bon article dans l’Humanité récemment (1). Il n’est donc pas étonnant d’y constater une utilisation renforcée de vieux outils misogynes dont le but avoué est la suppression de la parole publique des femmes, en particulier quand elles sont de gauche. En résumé, on cherche à les faire taire et on ne s’en cache pas.
L’utilisateur·trice des réseaux sociaux a la possibilité de choisir le contenu qu’iel voit. Force est de constater que beaucoup recherchent donc activement les contenus de leurs « ennemis » (2). La volonté d’exprimer son mépris publiquement, apparaît comme compulsive.
Le ridicule ne tue pas… mais il disqualifie
De l’Assemblée des Femmes aux Précieuses Ridicules, la moquerie a toujours été utilisée pour rendre la parole des femmes inopérante. Les réseaux sociaux, moins aptes au bon mot qu’Aristophane ou Molière, nous aident à repérer cette stratégie grâce à leur phrasé parfois très littéral et leur paresseuse utilisation d’émojis.
Cet accablement du ridicule concerne en premier lieu les femmes de gauche, mais dans une moindre mesure celles de droite aussi (surtout si la femme en question est racisée). Par exemple, les réactions suscitées par les déclarations des porte-parole successifs du gouvernement sont visiblement asymétriques. Ainsi, au sein d’une même critique, Sibeth Ndiaye, est ridiculisée et caricaturée, alors que Gabriel Attal a habituellement droit à une photo neutre, presque flatteuse.
L’acharnement des réseaux sociaux sur Sandrine Rousseau rappelle également celui subit par Anne Hidalgo et les deux sont d’ailleurs souvent mentionnées en même temps.
Le ridicule passe également par la familiarité : le tutoiement, les sobriquets, sont autant d’outils traditionnels de rabaissement des femmes qui ont trouvé une nouveau souffle grâce aux réseaux sociaux.
La caricature à l’intersection du sexisme, du racisme et de la xénophobie.
Dans la grande tradition de la caricature politique, des illustrations de Daumier aux Guignols de l’Info, les attributs physiques, tics et manies des politiques ont longtemps fait l’objet d’un intérêt tout particulier. Cet art est aujourd’hui en perte de vitesse et on ne voit plus guère de caricatures physiques des candidats à la présidentielle 2022. Sauf… pour certaines femmes politiques et venant presque exclusivement de sources d’extrême-droite.
Ces caricatures sont ensuite relayées largement sur les réseaux sociaux, et, libérées de leurs sombres origines par effet de dilution, sont reprises par un large public, visiblement perméable à ce type d’images. On se souvient ainsi de la BD pour laquelle le journal Valeurs Actuelles a été condamné et qui représentait la députée danièle Obono en esclave, ou encore les dessins « humoristiques » qui circulent depuis l’annonce de la candidature de Christiane Taubira.
Concernant Anne Hidalgo, la xénophobie s’exprime au travers d’un renvoi systématique à la propreté et au nettoyage : derrière les critiques se profile l’image stéréotypée de la femme de ménage espagnole.
La caricature, qu’elle soit faite au travers de mots ou en image, se montre donc intersectionnelle et vise en premier lieu les femmes issues de l’immigration ou racisées.
La présomption d’incompétence
Un autre poids que se partagent les femmes politiques est la présomption d’incompétence (3), véritable cri de ralliement des harceleurs en herbe des réseaux sociaux. Bien évidemment, ils se défendent de toute misogynie : ils citent d’ailleurs souvent un homme qu’ils trouvent aussi incompétent (une variante de la parade de l’ami noir) et s’offusquent qu’on puisse pointer la présence dans leurs commentaires envers Anne Hidalgo de stéréotypes sexistes. Pour eux, la victime étant « nulle », « bête » ou « folle », cela justifie tous les coups-bas. C’est ce qu’on appelle le victim-blaming.
Parfois, ces harceleurs tentent d’inverser l’accusation, un type de parade fallacieuse souvent utilisée quand des accusations d’antisémitisme, de sexisme ou de racisme sont soulevées.
Le vacarme des mots-dièses.
Le mot-dièse #saccageparis, a longtemps été pris à la légère. Or, il réussi à présent à causer un vacarme assez assourdissant pour noyer la parole d’Anne Hidalgo sur les réseaux sociaux, et en particulier sur Twitter.
Piloté par la droite (son fondateur est un cadre du privé, proche de l’UDF, tandis que les comptes les plus actifs partagent allégrement des contenus d’extrême droite et que beaucoup semblent graviter autour de candidats malchanceux de la droite aux dernières élections municipales) (4), ce mouvement est constitué de quelques comptes qui lui sont dédiés et qui postent plusieurs dizaines de fois par jour. Il est par ailleurs suivi et repris par une audience bien plus large et a réussi à fédérer des opposants de diverses sensibilités. En particulier, on y retrouve aussi des « amoureux » du patrimoine, hypersensibles des bancs Daviout, qui partagent une vision passéiste de la Ville avec les créateurs, plus politisés, du mot-dièse.
Contrairement à ce qu’il prétend, le mouvement #saccageparis n’a jamais représenté un épiphénomène parisien, même s’il met en lumière deux visions opposées de la ville. Car au delà de l’image surannée des « défenseurs » autoproclamés du mobilier urbain Belle Epoque, il y a toujours eu un plan politique plus large qui vise à saboter les futures ambitions politiques, nationales ou internationales, d’Anne Hidalgo, et du PS.
#saccageparis est maintenant rejoint par le mot-dièse #ruetrévise (qui fait référence à l’accident mortel survenu dans cette même rue et dont la résolution pour les victimes est encore attendue), et par #parissoustutelle (un mouvement piloté par une co-listière de Pierre Liscia, en charge de la campagne numérique de Valérie Pécresse) (5).
Ces mots-dièses sont apposés, hors sujet, sous chaque mention d’Anne Hidalgo et créent un vacarme qui empêche le débat en invisibilisant les autres réactions ou en les intimidant.
Trop ou pas assez ?
France Info, le 14/12/2021 : « la faiblesse d’Anne Hidalgo… » – la chroniqueuse parle en vérité des faibles scores d’Anne Hidalgo dans les derniers sondages. Mais c’est à la candidate elle-même, à sa personne, qu’est attribuée la faiblesse, comme en ces anciens temps où le corps du roi, du pharaon, était assimilé à la santé du royaume. C’est au travers des réactions suscitées par ces femmes de pouvoir que ces anciens mécanismes subsistent dans notre psyché aujourd’hui.
Paradoxalement, cette faiblesse présumée coexiste avec une omniprésente accusation d’autoritarisme (5), souvent expliquée par un manque naturel de « leadership » qu’il faudrait compenser.
On se rappelle qu’en tant que première adjointe de Bertrand Delanoë, on trouvait Anne Hidalgo « docile », pas assez affirmée,(6) et maintenant qu’elle exerce le pouvoir en son propre nom, elle en devient magiquement trop autoritaire !
La folie des femmes en politique
Face à ce déferlement continu de haine et de mépris, l’on peut se dire qu’il serait fou pour une femme de vouloir se lancer en politique. En découle que seule une folle pourrait vouloir se présenter et s’exposer ainsi.
L’accusation sous-jacente d’hystérie (un type de folie genré qui se caractérise par l’énervement illogique et intempéré) n’est jamais bien loin, que ce soit à l’encontre de candidates, d’élues, de journalistes ou de simples militantes.
Le mois dernier, la journaliste Apolline de Malherbe a ainsi été appelée à se calmer par le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, qui la jugeait « trop agressive ».
A quand la fin ?
Anne Hidalgo avait déjà alerté sur ce type de sexisme dans un entretien de 2018, qui avait largement été commenté et accepté par la presse à l’époque(7). Le Monde titrait même « Difficile de contredire Anne Hidalgo sur la persistance du sexisme en politique ». En 2019, un rapport de la conférence européenne des présidentes et présidents de parlement pointait également l’augmentation inquiétante de ce type de harcèlement en ligne et du discours de haine envers les élues (8). Mais en cette campagne présidentielle, rien dans les médias français, pas un constat sur les attaques genrées dont Anne Hidalgo fait les frais de façon de plus en plus systématique et violente, tout comme ses consœurs.
Certains nous rappellent que les réseaux ne sont pas « la vraie vie », mais leur influence sur cette dernière est bien réelle. En 2016, la députée travailliste Joe Cox était assassinée par un militant d’extrême droite radicalisé en ligne. Plus récemment, à Rennes, le domicile de la maire PS a été « assiégé » par des policiers se réclamant du syndicat Alliance, à visées d’intimidation. En début d’année, c’était au tour du domicile de Sandrine Rousseau d’être visé par des militants pro-Zemmour.
Les femmes de gauche, premières cibles de la violence d’extrême droite, qu’elle soit verbale ou physique, n’en seront pourtant pas les dernières. Car c’est l’Etat de droit qu’on attaque au travers d’elles, le système qui permet qu’elles puissent s’exprimer et occuper des positions de pouvoir. Et une fois ce système fragilisé, cette violence antirépublicaine et antidémocratique se propage.
Cette année, une deuxième figure politique Britannique a été victime d’un assassinat politique : un député conservateur. En France, les attaques contre les élus, y compris les hommes, de tout bords, se font aussi de plus en plus nombreuses, avec une escalade ces derniers jours et semaines. En ce sens, les femmes de gauche représentent le canari dans la mine de notre état de droit et rester silencieux devant le traitement réservé à Anne Hidalgo et de ses consoeurs sur les réseaux sociaux est un acte de lâcheté qui ne nous sera pas pardonné par les générations futures.
Références
(2) C’est ce que l’on apelle le « hate-follow ».
(3)https://www.neonmag.fr/il-y-a-une-presomption-dincompetence-chez-les-femmes-au-travail-sophie-gourion-feministe-537379.html ; https://www.liberation.fr/evenements-libe/2017/10/05/femmes-le-soupcon-de-l-incompetence_1600914/ ; https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00789219/document
(4) https://www.liberation.fr/politique/succes-du-hashtag-saccageparis-la-droite-et-lrem-en-embuscade-20210405_MGQYGEJ5HZCVLK62BIR3K7JEIY/ ; https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-des-reseaux-sociaux/reseaux-sociaux-emission-du-mercredi-15-septembre-2021
(5) https://www.lejdd.fr/JDD-Paris/sondage-84-des-parisiens-jugent-que-leur-ville-est-sale-4070698
(6)https://www.liberation.fr/tchats/2007/06/05/une-femme-sera-qualifiee-d-autoritaire-alors-qu-un-homme-sera-ferme_13649/ ; https://journals.openedition.org/mots/369 ; https://www.senat.fr/rap/r14-672/r14-6721.pdf